Par son essence métissée, cette représentation religieuse se démarque à la fois par sa technique admirable et sa portée historique. Datée de 1539, cette icône mésoaméricaine est une œuvre majeure de l'art colonial, reprenant ici le thème iconographique chrétien de la messe de Saint Grégoire.

Présentation de l'œuvre
Réalisée en 1539 à Mexico, la Messe de Saint Grégoire est à la fois un des tout premiers tableaux chrétiens du nouveau monde et une des dernières productions de l'art aztèque. Si le sujet illustre une scène traditionnelle de l'art chrétien du XVe siècle, la technique, le style décoratif employé, l'organisation spatiale de la scène et le symbolisme de certaines représentations sont de traditions locales.
Peu de tableaux de plumes coloniaux ont été conservés. On compte une centaine au monde dont seulement 18 datent du XVIe siècle, dont 3 en France. Seule la Messe de saint Grégoire est datée et localisée grâce à une dédicace en latin présente sur le tableau.
Informations techniques
- Titre : La Messe de Saint-Grégoire
- Chronologie : 1539
- Technique : mosaïque de plumes sur bois
- Dimensions : 68 x 56 x 23 cm
- Conservation : Musée des Jacobins, Auch, France
Histoire de l'œuvre
Cette œuvre exceptionnelle a disparu pendant quatre siècles et demi avant de réapparaître lors d'une vente aux enchères à Paris en 1985, au milieu de porcelaines fines et de soupières. Les raisons de sa disparition et son parcours avant cette réapparition demeurent mystérieux.
Le cadre

Sur ce panneau de bois (68 x 56 x 23 cm), tout un décor en or (ou en cuivre) ornait le cadre, comme certains objets représentés dans l'icône. Malheureusement, arraché à l'œuvre, ces décorations ont été remplacées depuis par une pâte (ou une résine) jaune ocre.
L'apposition de matériau précieux tel que l'or était fréquente dans l'art aztèque. Les "amantecas" (maîtres plumassiers) utilisaient une technique spécifique pour déposer de fines lamelles d'or sur les plumes. Cette même technique sera réutilisée dans l'iconographie chrétienne pour représenter les éléments sacrés et célestes.
Plusieurs éléments de l'œuvre ont été repeints pour remplacer l'or arraché. Ces interventions ultérieures témoignent des vicissitudes de l'histoire de cette pièce unique.
Le texte en latin
L'épigraphe, première marque de ce métissage culturel, est elle-même réalisée en mosaïque de plumes, ce qui donne une idée de l'excellence du travail. Cette inscription en latin informe sur les mandataires, la date et la localisation de l'œuvre.
Cette inscription est remarquable à plus d'un titre. Véritable témoignage de cette époque, cette icône apparaît incontestablement comme un nouveau média graphique, alliant les traditions européennes et mésoaméricaines.
Traduction du texte latin
Le texte latin présent sur l'œuvre peut être traduit ainsi :
Contexte historique
Le choix de l'iconographie n'est pas anodin. Il répondait en effet à des préoccupations d'ordre pédagogique puisque cette scène est une représentation du mystère Pascal où tous les instruments de la Passion sont détaillés et disposés selon un principe très proche des codes de lecture aztèques.
Mais ce tableau est également le symbole de la lutte qui a opposé les conquistadores aux frères mineurs érigés en protecteurs des Indiens. Cette lutte menée auprès des plus hautes autorités religieuses conduira le Pape Paul III à publier en 1537 la Bulle Sublimis Deus. La Messe de Saint Grégoire fut réalisée en remerciement de son appui.
L'image religieuse
Cette icône interroge directement la singularité esthétique de l'art de la plume. À la croisée de deux continents, Ancien et Nouveau Monde, de deux traditions esthétiques, européenne et mésoaméricaine, de deux matériaux, plume et peinture, de deux conceptions religieuses, chrétienne et aztèque, "l'image-plume" joue de tous les effets de miroirs possibles pour représenter le sacré.
La scène représentée
La Messe de Saint Grégoire est une scène traditionnelle de l'art chrétien du XVe siècle. Elle représente un épisode où, selon la légende, alors que le pape Grégoire le Grand célébrait la messe, le Christ serait apparu sur l'autel, entouré des instruments de la Passion.
Dans cette œuvre, on peut observer l'intégration d'éléments symboliques propres à la culture aztèque, bien que le thème général soit chrétien. Cette fusion témoigne de la rencontre entre deux univers religieux et culturels.
Technique artistique
L'art des amantecas
À l'étape du motif, le modèle reporté sur une feuille translucide de coton était encollé et découpé sur une feuille d'« Amate » (figuier sauvage). Ce motif était de nouveau copié sur une feuille de « maguey » (Agave) afin de gagner en rigidité. C'est sur cette dernière pièce, apposée au support en bois et recouverte d'une autre feuille de coton que les différents morceaux de plumes prenaient place pour constituer la mosaïque.
La plume, plus précieuse que l'or
Il faut garder à l'esprit l'effet éclatant et irisable recherché par les Aztèques pour comprendre leur fascination du matériau plume. Ce rapport à la lumière est primordial et contribua par la suite au syncrétisme religieux.
Le choix des couleurs permet de mieux appréhender cette dimension sacrée dont le bleu et le vert sont emblématiques de la culture mésoaméricaine. Dans La Messe de Saint Grégoire, on décompte pas moins d'une dizaine de couleurs dont le bleu est la dominante.

Cotinga amabilis, oiseau utilisé pour obtenir le bleu

Cyanerpe cyaneus, autre source de bleu

Plumes de Quetzal (Pharomacrus mocinno), utilisées pour le vert
Dans la culture aztèque, le bleu est la couleur du pouvoir, quand elle symbolise le ciel et l'eau, alors qu'elle évoque la virginité dans la chrétienté. Cette double symbolique enrichit la lecture de l'œuvre.
Conclusion
La Messe de Saint Grégoire (1539) représente un témoignage exceptionnel de la rencontre entre deux mondes culturels et religieux. Cette œuvre unique illustre parfaitement le processus de syncrétisme qui s'est opéré dans le Mexique colonial du XVIe siècle.
Par sa technique remarquable de mosaïque de plumes, sa dimension historique et son symbolisme complexe, elle constitue un patrimoine inestimable, conservé aujourd'hui au Musée des Jacobins à Auch, France.
Cette œuvre a fait l'objet d'études approfondies, notamment dans le cadre de l'exposition "Plumes, visions de l'Amérique précolombienne" au Musée du Quai Branly à Paris, et dans l'ouvrage de référence "Images Take Flight: Feather Art in Mexico and Europe" (2015) par Alessandra Russo, Gerhard Wolf et Diana Fane.